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Argentine

Témoignages

Frère Renato

Joseph Augustin Albert Raynal soit en religion Frère Jadère-René ou plus simplement Renato en Argentine.

Alors qu’il résidait en Argentine, Frère Renato fit plusieurs voyages en France et Yvette, bien que très petite, se souvient l’avoir vu dans les années 1960, événement qui reste toujours ancré dans sa mémoire. La grande partie de sa vie se passa en Argentine et ce jusqu’à sa mort.

Joseph Augustin Albert Raynal nait à Cabanès, lieu-dit La Combe le 13/02/1885. Il fait son noviciat à Pibrac (Haute-Garonne) puis au Val d’Aran. En 1904 il arrive en Argentine et reste à San Martín pour étudier l’espagnol.

En avril 1905, il arrive à Pigüé en compagnie du Frère Irmolan, dans le civil Joseph Poujol natif de Cruejouls. Pendant que se construit le collège La Salle, Frère Renato exerce son métier de professeur à la maison de Mme GINESTET, rue Sadi-Carnot, avec seulement treize élèves externes et deux pupilles. Un Aveyronnais qui donne des cours à des enfants de la colonie aveyronnaise !!!

Le 7octobre 1906, le collège est inauguré et béni et reçoit le nom « LA SAGRADA FAMILIA ».

Le Frère Renato reste à Pigüé jusqu’en décembre 1908.

En 1909, on l’envoie au collège La Salle de Buenos Aires où il est chargé de cours, en particulier de Sciences Naturelles.

En 1916, nous le trouvons au collège « Carmen Arriola de Marín » ; il reste là pendant 30 ans et en 1938, il est nommé « Prodirecteur » du collège.

En 1947, il intègre le collège « La Salle d’Argüello » où il exerce plusieurs activités, secrétaire, caissier, « Subdirecteur » en 1951 et plus tard en 1959 « Prodirecteur ».

 

Il laisse un souvenir « de grande piété, d’humilité, de travail acharné, de fraternité et d’une exquise courtoisie ». Il était aussi un homme de grande intelligence et qui, sa vie durant, n’a jamais cessé de vouloir parfaire son instruction. Dans son travail comme secrétaire, il a fait l’admiration de ses supérieurs et des fonctionnaires du Ministère.

Durant les quelques dernières années de sa vie, Frère Renato consacra une partie de son temps à l’entretien du jardin, n’oublions pas sa passion pour les plantes et les fleurs.

Il décède le jour du printemps en Argentine le 21/09/1974 à Argüello à 89 ans. Il laisse un cahier avec de belles maximes écrites en français, cahier qui sera traduit et publié par un Frère. Une de ses maximes synthétise bien sa vie : «  L’ennui est une maladie dont le remède est le travail ».

 

Peu après son décès, les parents d’Yvette ont reçu un colis venant du collège La Salle d’Argüello.

Il y avait sa croix, des photos et un livre relatant la vie du collège…

A plus d’un titre, intéressant et instructif récit du journal de voyage de Joseph Augustin Albert Raynal, Frère Jadère-René ou Renato, retour en Argentine, à bord du Paquebot Lutétia, compagnie de navigation Sud Atlantique.

 

 

Chers Parents

J’espère que vous aurez reçu ma lettre partie de Lisbonne le 3 Mars. Voici le résumé des journées passées de Lisbonne à Rio de Janeiro.

Lundi 3 Mars : 7 h 30 arrivée à Lisbonne. J’ai bien reposé la nuit précédente. A 12 h par une température très ce nous laissons le continent européen. Je repasse par la pensée les agréables moments vécus à Cabanès, Poussan et Agen.

Mardi 4 mars : nous voici sur les vagues frangées d’écume du vaste océan. On a un petit frisson en pensant à la profondeur et à l’immensité de cette masse liquide et intranquille labourée par la proue du « Lutétia » avec une vitesse moyenne de 35 Km à l’heure et une dépense de 60 mille francs de mazout en 48 heures. Le point de midi nous avertit que nous sommes à 32 ° 25’ latitude nord et que dans les 23 heures nous avons parcouru 432 milles marines. Au firmament le soleil a luit tout le jour sur l’océan pas un oiseau, pas un bateau, seul le « Lutétia » s’avance laissant derrière lui un sillage blanc avec des reflets verdâtres suivi d’un bruit pareil à celui que font l’Ezert et l’Escudelle après d’abondantes pluies. Pendant les repas le maître d’hôtel demande aux passagers s’ils ont bon appétit, si on nous sert bien. Il nous dit aussi aujourd’hui le nombre de passagers, 1ères 61, 2èmes 54 ; 3èmes 400 (100 ?), époque morte pour les voyages à cette saison a-t-il ajouté. A 6 h, le disque du soleil drapé dans les brumes du couchant paraît se noyer derrière les flots de l’Atlantique.

Mercredi 5 : vers 4 h, pendant que nous roupillons, nous avons passé les îles Canaries. Le roulis et le tangage sont plus accentués, aussi dans les secondes les 2/3 des passagers ont le mal de mer. Je suis du nombre. J’ai passé presque toute ma journée dans la cabine étendu sur ma couchette. Impossible à mon estomac de rien garder. J’ai bien commencé le carême ! A midi on se trouvait à 26° 04’ latitude nord et avions parcouru dans les 24 h 426 milles. Les nouvelles reçues par la T.S.F. nous disaient que les pluies ont causé des dégâts importants à Castres, Montauban et les Pyrénées Orientales, à Agen la crue de la Garonne devient inquiétante.

Jeudi 6 : j’ai bien reposé grâce à la bonne tasse de tilleul que mon compagnon le Frère Firmin, qui n’a jamais le mal de mer, m’apporta hier soir. Je sens que je vais mieux, je garde le petit-déjeuner, le déjeuner et le dîner. L’océan est plus calme, mais son uniformité, son immensité nous accablent et parfois les journées nous paraissaient longues et dire qu’à La Combe elles étaient si courtes !

Nous avons franchi le tropique du Cancer et nous sommes dans la zone torride. On peut déjà sortir le tricot quoiqu’on ne sue pas trop encore. L’air mélancolique des passagers a disparu. Après les repas les passagers se livrent aux jeux de pont ou à la promenade. Le point à midi est 19° 27’ latitude nord et dans les 24 h nous avons parcouru 430 milles. Nous traversons une zone de 3 mille mètres de profondeur et le « Lutétia » s’enfuit toujours déplaçant 18 mille tonnes. Les nouvelles du jour reçues par la T.S.F. nous annoncent que dans le Midi les inondations ont fait des ravages. A Agen, les communications sont interrompues. A 8 h ¾ on sonne pour le cinéma. Pendant la nuit, notre couchette s’incline, tantôt à droite, tantôt à gauche, on est bercé mais le sommeil tarde parfois à venir surtout dans les régions de l’écuateur (l’équateur).Il y a 150 polonais qui voyagent sur ce bateau et en 3ème.

Vendredi 7 : ce matin nous avons laissé à droite les îles du Cap Vert et à gauche les côtes d’Afrique mais sans voir ni les uns ni les autres. Pendant que je servais une messe à 6 h ½ on a apporté la communion à une personne qui a eu une crise d’appendicite. L’officialité apparaît aujourd’hui et dorénavant en costume blanc. Les groums (commissionnaires) vont et viennent portant un peu partout les ordres du Commandant. Nous nous trouvons à midi à 12° 34’ latitude nord et avons parcouru dans les 24 h  448 milles. Accoudé sur la poupe du « Lutétia » on peut méditer à son aise sur l’immensité et la toute-puissance du créateur, on peut se laisser aller aussi au fil de la pensée et se transporter dans des régions plus accidentées que celles que nous traversons car elles sont d’une monotonie désespérante. A midi, assis sur le pont des secondes j’entends le piano et les violons qui se jouent en 1ères pour leur tuer le caffard (cafard). Le bistrot est de plus en plus fréquenté à cause de la chaleur. Pendant la nuit nous laissons le hublot grand ouvert. Ce soir nous avons eu du Guignol pour nous distraire. L’unique chose que nous ayons vu pendant la journée, en dehors du bateau se sont les poissons volants.

Samedi 8 : voilà 8 jours que nous voguons sur le bouillon bleu et très salé de l’Atlantique. Notre panorama est invariablement le même : plaine circulaire liquide, ondulée, les vagues se bousculant chevauchant comme qui arrivera la première contre les flancs du bateau ; plaine solitaire dont les bords paraissent s’abaisser et rejoindre le ciel formant ainsi notre horizon d’une dizaine de kilomètres.

Journée de chaleur, malgré que le soleil reste voilé au-dessus de nous et presque pas de vent. A midi nous nous trouvons à 5° 42 ‘de l’équateur et dans les 24 h nous avons parcouru 457 milles. Pour combattre la chaleur, les passagers mettent leurs habits d’été, aux repas on donne de la glace, on fait fonctionner les ventilateurs, le concert symphonique et le cinéma ont lieu sur le pont.

Par la T.S.F. nous apprenons que les inondations atteignent 12 départements dans le Midi.

Les fêtes traditionnelles pour célébrer le passage de la ligne écuatoriale (équatoriale) se continuent en 1ère classe jusqu’à minuit.

Dimanche 9 : la nuit précédente je n’ai dormi qu’à moitié à cause de la chaleur étouffante. Dans mes insomnies je n’entendais que le ronflement des machines et les éclats de rire venus des 1ères classes célébrant le passage de l’équateur. La superficie de l’océan est calme et d’un joli bleu idéal et beau à voir surtout du gaillard de l’arrière. Malgré ce calme il y a pas mal de roulis provenant des courants équatoriaux. A 10 h il y a eu messe au salon des 1ères classes ; il y avait plus de passagers que dimanche dernier. Le point à midi est 1° 06’ latitude sud et dans les 24 h nous avons parcouru 458 milles. Nous avons donc passé la ligne imaginaire qui sépare l’hémisphère Nord de l’hémisphère sud. A midi devant notre couvert nous avons trouvé imprimé le programme des fêtes établies pour célébrer le passage des régions équatoriennes, les journées 9, 10, 11 et 12. Aujourd’hui 9 il y a eu à 4 h 1/2 exécution du premier numéro en plein air sur le pont ; c’était une course de chevaux de bois. Ces fêtes se font au profit des œuvres de mer. Ce soir depuis la première fois depuis Lisbonne nous avons croisé un joli bateau. Nous autres, les 4 Frères, pour célébrer et fraterniser au moment du passage de la ligne, nous avons dégusté dans notre cabine une bouteille de Champagne de « Victor Clicquot » Reims payée par notre compagnon Frère Firmin du Lot. Mise à sec et bouchée de nouveau, nous l’avons tiré à la merci des flots. La journée a été chaude, les derniers rayons de l’astre du jour font rougeoyer la fumée des cheminées du « Lutétia » qui monte droite dans l’espace illimité. La lune apparait avec la moitié de son disque et avec ce qu’elle reçoit de lumière procure dissiper un peu les ténèbres de l’océan.

Lundi 10 : même chaleur et même uniformité que les jours précédents. Nous sommes à 7° 27 ‘ de latitude sud et nous avons parcouru 435 milles dans les 24 h. Nous voyons au nord la trajectoire du soleil. Dans les longues heures passées sur le pont où l’air marin caresse notre visage, je songe tantôt à l’ancien continent tantôt au nouveau que nous avons maintenant à notre droite mais sans l’apercevoir encore.

Nous avons appris ce matin par un des prêtres qui voyagent à bord qu’une femme voyageant en 3ème classe est morte la nuit dernière. Les eaux bleues de l’Atlantique allaient être son dernier lit de repos ; mais les passagers des 1ères classes ont fait désister l’ordre du Commandant en s’offrant à payer eux-mêmes le triple cercueil (3 500 frs) qui gardera les dépouilles mortelles jusqu’à Buenos Aires. Cette femme portugaise a pu recevoir les derniers sacrements parce qu’il y avait des prêtres à bord. Il faut avoir aussi une bonne santé avant de s’embarquer. Aujourd’hui on a révisé nos passeports. A 4 h ½ du soir 2ème numéro des programmes de fêtes : divers jeux de pont dont quelques-uns ont exerbé (exercé?) le rire et d’autres ont révélé l’adresse des joueurs. A 9 h on a projeté un joli film.

Mardi 11 : le temps est orageux, chaud et lourd. Au levant le soleil apparait pâle et tandis que le « Lutetia » reçoit une première averse, un bel arc-en-ciel se forme au couchant. Vers 13 h lorsque nous étions à regarder le point à midi 13° 59’ de latitude sud presque tout à coup l’horizon s’est obscurci, rétréci et il est tombé une pluie torrentielle pendant une demi-heure. Les nuages et l’océan se confondaient, on ne voyait plus qu’à une certaine de mètres. La voix grave de la sirène se faisait entendre chaque 2 ou 3 minutes avertissant du danger. Le ciel bleu apparait à …..…..au sud, la tourmente est finie, les choses reprennent …….... plus habituel, la température dans la soirée a été un peu plus fraîche. Aujourd’hui exécution du 3ème numéro du programme des fêtes qui a consisté en un dîner travesti, un bal qui ne nous a intéressé que médiocrement et 2 artistes espagnols Moreno y Lepe nous ont fortement plu par leur tour d’adresse et la manière de jouer le xylophone. Ou la salle à manger sur le pont, les guirlandes aux vives couleurs, les lanternes vénitiennes et les drapeaux indiquaient que nous étions en fête. Demain nous arrivons à Rio de Janeiro capitale du Brésil et  première escale depuis notre sortie de Lisbonne.

Tout ce que vous venez de lire a été écrit sur le bateau, au salon de lecture des 1ères classes en en trois exemplaires, un pour Cabanès, un autre pour Agen et le 3ème pour Poussan pour vous témoigner l’affection que je vous conserve et vous donner aussi de mon 2è voyage en Argentine. Je mets ces mots dans la boîte aux lettres du « Lutétia » et j’espère que vous la recevrez avant la fin mars. Je vous écrirai de nouveau dès mon arrivée à Buenos Aires. Bonne santé à tous. Je vous embrasse bien affectueusement.

 

Fr J. René